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mardi 30 novembre 2010

Avoir vingt ans sous Chirac

Je le dis pour ceux qui en douteraient : on peut être nostalgique d'une époque qu'on n'a pas connue. Je suis né en 1984, à l'époque où la génération de 1968 arrivait au pouvoir. Pendant toute mon enfance et mon adolescence, j'ai donc vécu au milieu des ruines en formation, dans un monde que l'on achevait de détruire. J'appartiens à cette génération qui a grandi au milieu des slogans en faveur de l'ouverture à l'autre, des droits de l'homme et de l'antiracisme. Comme la plupart des gens, dans un premier temps, je n'ai pas échappé à cette influence, d'autant que je n'ai jamais connu que l'Éducation Nationale, où j'ai eu droit à tout dans ce domaine, depuis les cours d'éducation civique - dressage citoyen en bonne et due forme - jusqu'à ce professeur d'histoire-géographie, par ailleurs fort sympathique et intéressant, qui nous distribuait en cours de la propagande d'Attac. Bref, à cette époque, j'étais un bon petit soldat de la bien-pensance, d'autant plus redoutable que j'étais moins con que la moyenne.

Pourtant, à certains égards, même à cette époque, j'étais déjà quelque chose d'autre. J'ai beau avoir grandi dans un pays où l'on passait son temps à battre sa coulpe, j'ai toujours été fier de mon pays, de son histoire, de sa culture. Et puis, je ne saurais dire pourquoi - peut-être était-ce grâce à ces petits livres à la couverture orange que m'achetaient mes parents quand j'étais gosse, dont chacun racontait un épisode de l'histoire de France - mais je voyais bien tout de même que la France de Lionel Jospin n'était pas celle de Louis XIV, et que ce n'était pas seulement parce qu'entretemps on avait inventé l'ordinateur. Il me revient aussi qu'on m'avait offert un petit livre sur l'histoire romaine, écrit pour les enfants, qui m'avait rempli la tête avec les exploits des Brutus, Scipion et autres héros de la République. Déjà en ce temps-là, il me semblait qu'à coté d'eux, nous faisions un peu fin de race. Quand j'étais au collège, dans le cadre d'un voyage scolaire, nous étions allés à Rome. Je me souviens que, tandis que j'étais devant la Curie de Pompée, je pouvais presque voir César s'écrouler devant moi sous les coups de ses assassins. Mais j'étais bien le seul, car pour mes camarades, le forum romain n'était rien de plus qu'un tas de ruines. Ainsi, plus ou moins consciemment, je n'aimais déjà pas beaucoup notre époque.

Il serait faux de prétendre que j'ai dessillé tout d'un coup, en vérité ce fut très progressif et je continue sans doute encore aujourd'hui à évoluer. Il y eut cependant quelques moments qui ont accéléré mon évolution et m'ont aidé à ouvrir les yeux. Le plus important fut sans doute l'entre-deux-tours des élections présidentielles de 2002, quand Le Pen surprit tout le monde en se qualifiant pour le second tour. Je me souviens qu'à l'époque - j'étais alors en terminale - j'avais été scandalisé par cette espèce d'hystérie antifasciste, qui se donnait le nom de lutte pour la démocratie, alors qu'il s'agissait en réalité de contester la légitimité du résultat issu des urnes. J'avais alors bruyamment refusé de manifester contre la présence de Le Pen au second tour, m'efforçant d'expliquer à mes camarades qu'il était indécent de protester de la sorte contre un résultat tout ce qu'il y avait de plus démocratique. Mais plus que cela, si cet événement a contribué à mon réveil, c'est parce qu'alors, pour la première fois, je commençais à prendre conscience que nous étions complètement étouffés par une propagande qui ne disait pas son nom.

Il est inutile de vous dire que, depuis cette époque, qui n'est pas si lointaine, j'ai eu le temps d'apprécier l'étendue de cette propagande, et que je suis revenu d'à peu près toutes les conneries dont on m'avait bourré le crâne. Surtout, j'ai beaucoup lu, sur tout et tout le temps, car j'ai compris que tout ce qu'on ne m'avait pas appris à l'école, il allait falloir que je l'apprenne moi-même. Comme la plupart des jeunes gens de mon époque, c'est toute mon éducation qui était à refaire. Notez que si je ne regrette surtout pas d'être enfin lucide, je ne m'en trouve certes pas mieux, bien au contraire. Il n'y a rien de plus terrible, en effet, que d'être comme étranger à son époque, surtout quand par dessus le marché, on est de plus en plus étranger dans son propre pays. Il n'y a presque rien dans le monde qui m'entoure qui ne suscite chez moi le dégoût. Je vois mon pays disparaître sous mes yeux et tout le monde semble l'ignorer, voire s'en réjouir bruyamment. Où que je tourne mes regards, je ne rencontre que de l'incompréhension. J'ai l'impression de vivre au milieu d'ombres sans âme et sans rêves. Mes contemporains ont honte de ce que la France a été, tandis que moi, au contraire, j'ai honte de ce qu'elle est devenue, ou plutôt de ce qu'elle a cessé d'être. Bref, je hais notre époque de toutes mes forces, et je hais encore plus la génération qui m'a précédé, celle de ceux qui ont rendu tout cela possible.

Je ne crois pas un seul instant qu'il y avait dans le monde d'autrefois moins de bassesse, mais ce dont je suis convaincu, c'est qu'il y avait plus de noblesse. L'homme n'est plus capable d'aucune noblesse, parce qu'il ne comprend même plus ce que c'est. Il est devenu incapable de s'élever au dessus de lui-même, ne serait-ce que par la pensée. On dirait qu'il s'est enfin résolu à accepter sa condition, alors même que c'est le propre de l'homme de s'efforcer d'y échapper. D'ailleurs, non seulement il l'accepte, mais il s'y vautre avec délectation, comme pour rattraper le temps perdu au cours des siècles précédents. Il n'y a guère plus que l'humanitarisme qui s'offre comme horizon de dépassement de l'homme, mais c'est un bien pauvre échappatoire et un piètre substitut. Michel-Ange n'a pas peint le plafond de la chapelle Sixtine en songeant à la faim dans le monde... Je ne suis pas croyant, c'est peut-être parce que j'ai été élevé par de parfaits mécréants, mais indépendamment de cela, je me sens complètement incapable d'avoir la foi. On dirait que, même cela, on nous l'a enlevé. Si je me sens catholique, moi qui n'ai pas même reçu le baptême, c'est uniquement par affinités intellectuelles et esthétiques, ainsi que par fidélité à une culture. Mais le charme est rompu : je vis dans un monde qu'ont déserté toutes les manifestations de la transcendance, où tout n'est plus que matière. Jadis, sur cette même terre où j'ai grandi, des hommes ont sacrifiés des vies entières pour construire des cathédrales, aujourd'hui on n'y construit plus que des banques et des bureaux.

L'homme n'est qu'un tas de chair et d'os, disons que c'est entendu. Il pourrait au moins s'en désoler, au lieu de quoi il s'en félicite. Les gens autour de moi semblent souffrir d'une sorte d'atrophie de l'âme, ils veulent se convaincre que tout ce qui passe la mesure de leur imagination ne peut être qu'invention, à tel point qu'on dirait que ça les rassure de savoir que nous ne sommes que de la merde. À ce sujet, il me revient à l'esprit une anecdote qu'on raconte sur Nietzsche. J'ignore si elle est authentique, mais quoi qu'il en soit je la trouve à propos. Il me faut d'abord vous raconter l'histoire de Gaius Mucius Scévola, ou plutôt laisser Tite-Live vous la raconter (Histoire romaine, II, 12-13, trad. Annette Flobert) :
Un jeune patricien, Gaius Mucius, trouvait révoltant que le peuple romain soit assiégé par les Étrusques dont il avait si souvent défait les armées, alors qu'aucun ennemi dans aucune guerre ne l'avait assiégé tant qu'il était soumis à la dictature des rois. Décidé à venger cet affront par quelque coup d'éclat, il songea d'abord à pénétrer dans le camp ennemi sans prévenir personne ; mais il craignait, s'il y allait sans l'autorisation des consuls et sans que personne soit au courant, de tomber sur des sentinelles romaines qui le prendraient pour un déserteur et le ramèneraient de force ; la situation à Rome rendrait l'accusation plausible. Il alla donc au Sénat et déclara : "Pères, je veux traverser le Tibre et pénétrer, si je le peux, dans le camp ennemi. Je n'y vais ni pour piller ni pour exercer des représailles. Non, j'envisage, avec l'aide des dieux, un plus noble exploit !" Les sénateurs donnèrent leur accord.
Il partit, cachant une arme sous son vêtement. Arrivé au camp, il s'arrêta près de l'estrade où siégeait le roi, au milieu d'une foule très dense. C'était le jour où les soldats touchaient la solde et un secrétaire, assis à coté du roi et habillé à peu près comme lui, se trouvait très occupé car c'était à lui que les soldats s'adressaient en masse. Mucius n'osa pas demander lequel des deux était Porsenna, craignant d'être trahi par son ignorance et, s'en remettant au hasard pour guider son bras, tua le secrétaire en le prenant pour le roi. Il cherchait à s'échapper et son arme sanglante lui frayait un chemin à travers la foule au milieu du désordre quand les gardes du roi, attirés par le bruit, l'arrêtèrent et le ramenèrent. Debout devant l'estrade royale, il inspirait dans des circonstances si graves plus de craintes encore qu'il n'en éprouvait. Il déclara : "Je suis citoyen romain et je m'appelle Gaius Mucius. Je suis venu en ennemi abattre un ennemi et je suis aussi déterminé à mourir que je l'étais à tuer. Le courage dans l'action et dans la mort est une vertu romaine. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à vouloir ta perte : longue est la liste de ceux qui aspirent à la même gloire. Prépare-toi donc, si c'est bien ce que tu veux, à défendre ta vie à tout moment, à trouver constamment une arme et un ennemi à la porte de ta tente. Voici la guerre que la jeunesse de Rome et moi-même te déclarons. Ne crains aucune bataille rangée, aucun combat : c'est une affaire qui se réglera entre nous et toi."
Furieux et effrayé par le danger, Porsenna ordonna, pour faire peur à Mucius, qu'on l'entoure de flammes s'il ne s'expliquait pas immédiatement sur le complot dont il le menaçait à mots couverts. "Pour savoir le mépris qu'ont de leur corps ceux qui aspirent à une grande gloire, dit Mucius, regarde !" et il plaça sa main droite sur les charbons ardents destinés au sacrifice. Il la laissa brûler, comme insensible à la douleur. Le roi, interdit par ce courage surhumain, bondit de son siège et ordonna qu'on écarte le jeune homme de l'autel. "Pars, dit-il, tu auras eu à souffrir de ta bravoure plus que moi. Je te féliciterais de ton courage si ce courage était au service de ma patrie ; mais je renonce du moins aux droits de la guerre et te laisse repartir libre, sans mal et sans dommage." Alors Mucius, comme pour le remercier de ses bontés, lui dit : "Puisque tu honores le courage, je veux me reconnaître à ton égard en te donnant le renseignement que tu n'as pas pu obtenir sous les menaces : nous sommes trois cent jeunes patriciens romains qui avons juré de t'attaquer de cette façon. Le sort m'a désigné le premier ; les autres, quoi qu'il arrive au premier, viendront les uns après les autres jusqu'à ce que la chance te fasse tomber sous leurs coups."
En même temps que Mucius, qui garda le surnom de Scévola, c'est-à-dire gaucher, à cause de la perte de sa main droite, Porsenna envoya des parlementaires à Rome ; le premier danger qu'il avait couru et auquel il n'avait échappé que grâce à la méprise de son agresseur, et plus encore la perspective d'essuyer autant d'attentats qu'il restait de conjurés, l'avait tellement bouleversé qu'il envoya spontanément des propositions de paix à Rome. Au cours des négociations, il évoqua vainement le rétablissement de la monarchie : il n'avait pu refuser ce service aux Tarquins mais ne se faisait guère d'illusions sur la réponse des Romains. Il obtint ceci : les Romains rendaient leur territoire aux Véiens et s'engageaient à livrer des otages pour que les troupes quittent le Janicule. La paix conclue à ces conditions, Porsenna évacua le Janicule et sortit du territoire de Rome.
Je peux maintenant revenir à l'anecdote sur Nietzsche à laquelle je faisais allusion avant cet intermède. On raconte que pendant qu'il était étudiant, un professeur de Nietzsche affirma que, selon lui, cette histoire était fausse car personne ne pouvait faire preuve d'un tel courage. Nietzsche, voulant prouver qu'il se trompait, éleva un bûcher avec l'aide de ses camarades et y plongea sa main, ce qui lui occasionna de très graves brûlures. L'une des raisons pour lesquelles je hais notre époque, c'est que tout le monde y est comme ce professeur. On dirait en effet que ces gens-là tiennent absolument à nous plonger la tête dans notre merde et à nous convaincre que l'homme est incapable de quelque grandeur que ce soit. Or, à force de vouloir s'en convaincre, il finit par le devenir en effet. Qu'importe que Mucius ait vraiment accompli cet exploit, selon moi, on s'en trouve plus noble et un peu meilleur lorsqu'on peut croire à une histoire comme celle-ci. D'ailleurs, vous aurez remarqué que, dans le texte que j'ai cité, Tite-Live qualifie le courage de Mucius de surhumain. La différence entre les Anciens et nos contemporains, ce n'est donc pas qu'ils étaient naïfs au point de ne pas voir qu'un tel courage était surhumain, c'est que, contrairement à ces derniers, ils avaient la force de croire que l'homme pouvait être un peu plus que l'homme.

Je n'estime pas être naïf et pourtant je crois qu'il a pu exister des hommes comme Mucius. D'ailleurs, pour dire les choses exactement, j'en suis tellement convaincu que le doute ne m'effleure même pas. Je sais que des gens comme Mucius ont existé, et j'estime qu'ils sont de ces hommes qui font honneur à l'homme, pour reprendre le mot qu'avait eu Montecuccoli au sujet de Turenne. Quand je lis les Vies de Plutarque, où l'on trouve tant d'histoires de ce genre, il me semble en effet que je peux enfin être fier d'appartenir au genre humain. Heureusement que j'ai Plutarque d'ailleurs, car si je ne devais compter que sur le monde dans lequel je vis, j'aurais peut-être l'impression que l'homme n'est en effet qu'un amas de matière. La plupart des gens pensent que l'homme s'est grandi en cessant de pouvoir croire à toutes ces histoires de héros et de vertu, alors que c'est exactement l'inverse, il s'est au contraire rabaissé.

Notre époque s'imagine qu'elle a cessé de croire en Dieu, qui prenait toute la place, pour enfin pouvoir croire en l'homme. Or, rien n'est plus faux que cette idée, car en vérité notre époque ne croit pas en l'homme, pas davantage qu'elle croit en Dieu. Plutôt qu'en l'homme, elle croit en une sorte de bête, qui, certes, se tient sur ses deux pattes arrière (encore que ce soit de moins en moins vrai), communique à l'aide du langage et sait faire preuve d'une grande ingéniosité, mais qui pour autant n'a pas grand chose à voir avec l'homme. Autrement dit, en voulant se contenter d'être homme, l'homme s'est mis plus bas que l'homme. C'est précisément tant qu'il peut croire à des histoires comme celle de Mucius, peu importe qu'elles soient vraies d'ailleurs, qu'il est un peu au-dessus de la bête. Mais quand son âme est devenue trop petite pour cela, alors ce n'est plus qu'un estomac sur pattes. On s'enorgueillit pourtant aujourd'hui de fabriquer à la chaîne des individus dans ce goût-là, tellement abrutis qu'ils ont été rendus complètement insensibles à toute forme de noblesse, ce qui fait d'eux de bons consommateurs, sans doute, mais quoi d'autre ?

La génération précédente a détruit à peu près tout ce qu'il y avait de bon et de beau dans le monde. Elle devra un jour répondre de ses crimes devant l'histoire, car les plus coupables ne sont pas les hordes de petits crétins d'aujourd'hui, qui après tout n'ont jamais connu que le monde tel qu'il est aujourd'hui, mais plutôt nos parents qui ont laissé faire, quand ils n'ont pas eux-mêmes mis la main au désastre. Je m'adresse à eux maintenant : ne vous y trompez pas, vous avez sur la conscience la ruine d'une civilisation, soit que vous y ayez contribué directement, soit que vous ayez été trop lâches pour vous y opposer. J'ignore s'il existe un crime plus odieux que le vôtre, vous qui avez jeté à bas plusieurs siècles d'efforts et de sacrifices, livré aux chiens ce joyau de l'humanité que fut la civilisation européenne. Je veux croire pourtant que cette civilisation, qui fut autrefois si brillante et sûre d'elle, ne se laissera pas mourir et qu'elle se relèvera sur les ruines que vous nous avez laissées. Prenez donc garde à la colère de la génération qui vous remplacera et qui finira bien par ouvrir les yeux. Quand elle aura compris ce que vous avez fait, elle jettera sur vous un opprobre infini, de ceux dont on ne se relève pas. En attendant, je dois continuer à vivre parmi des fantômes, dans cette sorte d'exil intérieur que vous m'avez imposé.

Non, décidément, il n'est pas tous les jours facile d'avoir vingt ans sous Chirac.

9 commentaires:

  1. Je ne suis pas un partisan de la repentance à tous crins, Dieu sait, mais il me semble que les gens de ma génération, et plus encore ceux de celle qui la précède, doivent aux gens de votre âge les plus plates excuses pour la société en lambeaux, répugnante de douceur (et de violence : ça va de pair) que nous leur léguons.

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  2. cher Lemoine,

    On m'a dit au lycée que l'Histoire était un processus dialectique, et j'ai été assez crédule pour le croire. Notre génération répond à celle de nos parents, qui eux-même répondaient à leurs parents, et nous-mêmes nos enfants nous traiteront de vieux cons.

    Si nous voulons minimiser le mépris que nos enfants auront pour nous, il nous faut éviter de rejeter trop excessivement ce que nos parents nous lèguent. Fermez les yeux. Chantonnez après moi la chanson hippie :
    "If you're going to San Francisco,
    Be sure to wear some flowers in your hair"
    Figurez-vous un minibus peint avec plein de fleurs de toutes les couleurs, avec des filles aux joues roses, souriantes, et puis un barbu au volant, qui se sent libre et prêt à adopter un mode de vie communautaire. Fantasmez donc une ambiance de liberté, amour et amitié, guitare et feu de camp sous les étoiles. Bref il y a quand même de bonnes vibrations dans l'héritage de 68. Spectateur épouvanté, vous risquez de l'être par vos enfants le jour où ils voudront faire comme grand-père. L'époque pré-soixante-huitarde de notre grand-père à nous appelait mai 68 en réaction, car elle avait aussi ses défauts.

    Nos parents ont été excessifs, mais chacun de leurs excès est à mes yeux une limite de leur réflexion face à une question difficile. En nous opposant à nos parents, nous faisons avancer la réflexion, mais la difficulté des questions sur lesquelles porte cette réflexion, sera pour nous aussi très difficile à affronter, et nous risquons nous aussi d'être excessifs dans nos réponses. Voilà quelques exemples pour illustrer cela.

    (suite au prochain commentaire)

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  3. (suite)

    Nos parents refusent de voir la cruauté et l'injustice du monde réel. Le peuple français peut être placé dans des situations cruelles de conflit entre son propre bien-être et celui d'autres personnes ou groupes de personnes, comme les migrants issus des pays pauvres qui voudraient entrer sur notre territoire, ou les habitants des pays émergents qui connaissent une forte croissance, en partie au détriment de notre industrie. Il serait juste que le peuple français accède au bien-être, mais il serait juste aussi que les autres personnes, et groupes de personnes, accèdent aussi au bien être. Lorsque deux choses justes rentrent en conflit, et frisent l'incompatibilité, comment croire encore en la justice ? Nos parents ont nié cette cruauté du monde réel, comment en refusant de la nier, éviteront nous de sombrer dans le nihilisme ? Première question difficile.

    Nos parents ont vénéré la notion d'humanité, ils ont rejeté l'idée que l'on puisse privilégier aux autres hommes, les membres du peuple auquel on appartient, qui sont pourtant les seuls humains envers lesquels nous sommes engagés par un contrat social. Aux concepts abstraits, comme celui d'humanité, nous préférons les choses concrètes, comme les groupes d'individus qui font corps, qui sont heureux parce que parmi les leurs, qui sont forts parce qu'ils sont solidaires. Nous souhaitons redécouvrir et réinventer les notions de peuple et de nation, et défendre ces notions face a ceux qui les trouvent égoïstes. Comment parviendrons-nous à concilier cette idée que tous les hommes sont frères, avec cette autre idée qu'ils ont besoin de privilégier leur peuple ou leur nation ? Voilà une deuxième question difficile.

    (suite et fin au prochain commentaire)

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  4. (suite et fin)

    Nos parents n'aiment pas les frontières, ils ont désactivé les frontières, qui laissent aujourd'hui passer sans restriction, biens et services, capitaux et personnes. Résultat, c'est la désindustrialisation, la désintégration sociale, la finance et le consommateur rois, et la politique d'aujourd'hui est tellement contrainte par le monde extérieur, qu'elle perd son sens, nous n'avons plus la possibilité de choisir dans quel univers économique nous voulons vivre. Il nous faut réactiver les frontières, reprendre une certaine autonomie par rapport au reste du monde. Mais il est peut-être possible de réactiver les frontières de manière excessive. Ce n'est pas la même chose de refuser totalement les échanges et la concurrence avec le reste du monde, et de ne refuser que les échanges dérégulés, une certaine concurrence faussée. Quelles doivent donc être les modalités d'intégration de l'économie française dans l'économie mondiale ? Troisième question difficile.

    Pour nos parents, n'importe quel groupe d'humains peuvent vivre ensemble. Nous pensons au contraire que seuls des humains qui ont le sentiment d'appartenir à un même peuple, peuvent vivre ensemble, et nous pensons que ce sentiment d'appartenance commune est une réalité difficile à faire émerger, et très fragile. Nous risquons alors d'utiliser des méthodes exagérées pour faire exister ce sentiment d'appartenance commune. Les régimes fascistes, dont on peut se laisser aller à admirer la cohésion sociale, imposaient un modèle de manière d'être, auquel chacun devait se conformer, sous peine d'être exclu. Comment faire émerger un sentiment d'appartenance commune, sans pour autant reprocher à chacun d'être ce qu'il est ? C'était ma quatrième et dernière question difficile.

    PS : pas facile de laisser un commentaire sur votre blog ! Il n'y a pas la possibilité de s'identifier par un simple nom éventuellement accompagné d'une URL ?

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  5. Didier,

    Quoi qu'il arrive maintenant, votre génération fera l'objet d'un mépris universel, j'en suis convaincu. Mais je n'attends rien de ces gens, surtout pas des excuses, qui seraient dérisoires de toute façon. Les pires sont ceux qui voient ce qu'ils ont fait et qui continuent de se taire. Ceux-là méritent qu'on les pendent avec leurs tripes et qu'on les regarde crever la bouche ouverte.

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  6. Samuel,

    Je n'ai pas le temps de vous répondre en détail, ce dont je vous prie de m'excuser. Je me contenterai seulement de vous faire remarquer que la génération de nos parents ne s'est pas seulement révoltée contre la génération précédente, ce qui en effet est assez banal, mais qu'elle s'est révoltée contre toutes celles qui l'ont précédée, ce qui l'est beaucoup moins.

    P.S. : merci d'avoir porté à mon attention ce problème avec les commentaires, il devrait être réglé à présent.

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  7. Bonjour Philippe,
    Un court commentaire pour vous remercier de ce texte. J'ai un parcours un peu différent du vôtre, quelques années en plus, mais malgré cela j'aurai pu rédiger de longues portions de cet essai (bien qu'avec moins de talent!) tant ces mêmes idées me trottent dans la tête.

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  8. Pistache,

    Merci beaucoup pour votre commentaire, je suis content d'apprendre que d'autres que moi peuvent se reconnaître dans ce que j'ai écrit.

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  9. Salut les jeunes,

    C'est bien de prendre conscience de toutes les conneries qu'on a faites, Didier Goux et moi.
    Mais, vu le boxon où on vous a foutus, je crains que vous ne puissiez pas en rester là et qu'il vous faille, en sus, retrousser sérieusement vos manches.
    C'est pas gagné, les petits.
    Bon courage quand même, et bravo pour ce blog.

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