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jeudi 30 septembre 2010

Fred

J'ai décidé de créer une nouvelle rubrique, qui se veut un monument à la connerie du genre humain. En effet, j'étais tantôt en train de lire l'article du Monde consacré à la mort de Georges Charpak, événement regrettable s'il en est, quand mon oeil fut attiré par le commentaire d'un certain Fred, lequel nous gratifiait de cette remarque pleine d'esprit et surtout d'à-propos :
C’est dingue comme le cv de ce grand homme est à l’opposé de celui de notre guide de l’Elysée...formation, attitude, vision de la société et de l’avenir...
Eh bien mon cher Fred, quant à moi, ce qui m'étonne, ce n'est pas la différence entre Georges Charpak et celui de Nicolas Sarkozy, dont je dois même confesser qu'elle m'avait tout à fait échappé, c'est plutôt qu'on puisse trouver si facilement des gens comme vous, c'est-à-dire tellement cons qu'ils se croient obligés de tout ramener à notre cher Président, jusqu'à la mort d'un prix Nobel de physique. Inutile de préciser que cet individu ignorait probablement jusqu'à l'existence de Georges Charpak avant de tomber sur cet article... Bref, il m'a semblé que notre ami Fred méritait d'inaugurer cette nouvelle rubrique, que je sens promise à un long et brillant avenir.

Le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit

J'entendais encore récemment cette rengaine à la con, qu'on entend assez régulièrement sur les plateaux de télévision et de radio, dans la bouche de Mohammed Sifaoui, lequel était reçu chez Ménard pour parler de son pamphlet contre Zemmour. Il semble qu'à chaque fois que quelqu'un prononce cette phrase, il entend qu'elle mette fin d'autorité à la discussion, comme si c'était une sorte d'arrêt divin , gravé dans le marbre en haut de quelque mont Sinaï, devant lequel nous autres pauvres mortels ne pouvons que nous incliner comme des Bénédictins devant la Sainte Couronne. En général, les choses se passent à peu près de cette façon, quelqu'un fait une remarque qui n'est pas trop du goût de l'un des membres du clergé politico-médiatique présents sur le plateau, lequel se tourne alors vers l'impudent et lui dit sur le ton de l'évidence : "Mais enfin mon bon Monsieur, vous n'êtes donc pas au courant ? Le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit. Alors s'il-vous-plait fermez donc un peu votre claque-merde et laissez-moi reprendre mon explication au sujet des vertus du métissage et du multiculturalisme."

La question que je me pose invariablement quand j'entends quelqu'un débiter cette connerie est la suivante : mais qui donc a bien pu décréter que cela ne pouvait pas être à la fois une opinion et un délit ? En effet, il est évident que le racisme est à la fois une opinion et un délit : c'est une opinion parce que c'est une proposition que chacun peut fort bien examiner en tant que telle et c'est un délit parce qu'une bande d'abrutis a décidé de pondre une loi qui sanctionne l'expression de cette opinion. À moins bien sûr que nos amis censeurs - qui sont par ailleurs, ne vous y trompez pas, les plus ardents défenseurs de la liberté d'expression, à condition naturellement qu'elle ne soit pas trop libre quand même - prétendent à légiférer sur ce qui se passe dans le secret des âmes, ce qui n'est d'ailleurs peut-être pas si éloigné de ce à quoi ils aspirent en effet... Quoi qu'il en soit, dès que j'aurai le temps, je me fendrai d' un billet sur le racisme, dans lequel je m'efforcerai de distinguer plusieurs thèses que l'on confond sous cet unique vocable, en tâchant d'expliquer pourquoi, d'après moi, parmi ces différentes variétés de racisme, si tant est qu'il soit judicieux de les appeler ainsi, une seule mérite vraiment la condamnation dont on les frappe toutes indistinctement.

lundi 27 septembre 2010

Quelques raisons d'espérer

Histoire de démentir le pessimisme du titre de ce blog, dont je m'aperçois d'ailleurs qu'il est aussi grandiloquent que ridicule, je voudrais vous faire partager les raisons d'espérer qui ont contribué à me rendre plutôt optimiste ces derniers temps. Je vais pour l'essentiel me contenter de répéter ce que j'ai déjà écrit sur le blog de Marie-Thérèse Bouchard. Voilà, depuis quelque temps, il m'est apparu que les choses avaient considérablement évoluées par rapport à il y a une période encore récente, non seulement en France, mais plus généralement dans toute l'Europe. En France, il me semble que la cause de cette évolution, en tout cas l'une de ses causes, a été le prétendu débat sur l'identité nationale. Je crois en effet que, certes bien à son insu, Éric Besson a ouvert la boîte de Pandore, en cela qu'il a donné l'impression aux gens qu'ils pouvaient dire ce qu'ils pensaient. Je veux dire par là qu'avec le pseudo-débat du félon de la rue de Solférino, ainsi qu'avec les déclarations de quelques membres éminents de la majorité au cours des derniers mois, dans lesquelles ils se sont laissés aller à employer des formules qu'ils auraient autrefois condamné avec la dernière énergie, la droite dite respectable ou parlementaire (je me demande bien comment "parlementaire" a pu devenir interchangeable avec "respectable", mais c'est une autre histoire) a donné aux gens des raisons de penser que leur sentiment sur la situation n'était pas illégitime, qu'il ne s'agissait pas de mauvaises pensées qu'il leur fallait s'efforcer de réprimer, mais que peut-être il y avait là quelque vérité qu'il n'était pas indécent de vouloir énoncer à voix haute.

J'ajoute d'autre part, comme je l'ai déjà dit, qu'on peut observer un phénomène similaire dans toute l'Europe. Dans quinze ans, nos idées seront devenues si courantes qu'elles seront défendues par le clergé politico-médiatique, dont la capacité d'adaptation n'est pas la moindre des qualités (c'est même sans doute la seule), comme si elles lui avaient toujours semblé aller de soi. Cela ne viendra certes pas d'une révolte des masses, que des siècles de centralisation administrative ont rendues apathiques, en tout cas pas d'une révolte au sens habituel du terme, mais du fait que les politiciens ne désirent rien plus qu'être élus, et qu'ils ont mis en branle un mécanisme qu'ils ne contrôlent pas. Au cours des derniers mois, du seul fait que, dans l'espoir d'en obtenir un bénéfice électoral (lequel espoir n'est d'ailleurs pas infondé, non parce qu'ils vont gagner des voix, mais parce que la gauche en perdra à force de brailler contre la "dérive vichyste du gouvernement"), le gouvernement et certains politiciens de droite ont commencé d'employer des expressions autrefois bannies du discours public (même s'ils faisaient en sorte de les glisser au milieu de l'habituel apologie du multiculturalisme et discours sur les-vagues-d'immigration-qui-ont-fait-la-France), ils ont donné l'impression aux gens qu'ils pouvaient dire ce qu'ils pensaient.

Bien sûr, les politiciens de l'UMP qui emploient ces formules n'en pensent pas un mot, mais ce qu'ils n'ont pas compris selon moi, c'est qu'ils ont mis le doigt dans un engrenage dont ils ne pourront plus sortir. On n'hésite plus à discuter de l'éventualité d'un lien entre l'immigration et la délinquance, alors qu'il y a quelques années la simple évocation de cette possibilité vous condamnait à la mort publique plus sûrement qu'une profession d'athéisme vous envoyait au bûcher sous Torquemada, une expression comme "Français de souche" est même devenue courante dans les médias, alors qu'il y a encore trois ans l'employer suffisait à faire de vous un paria à vie, etc. Peu importe qu'ils n'aient été animés que par des motifs purement électoraux, ces braves députés ont créé une attente dans la population, en légitimant un discours que celle-ci croyait inacceptable, parce que cela faisait trente ans qu'on lui répétait qu'il l'était. À l'avenir, s'ils veulent être élus, il faudra donc qu'ils s'efforcent de répondre à cette attente qui a fait irruption dans l'esprit public du fait même qu'elle a désormais le droit de s'exprimer, ce qui va inévitablement les mener à la surenchère pour ne pas perdre les élections. Même la gauche ne pourra pas toujours refuser de participer à cette surenchère, elle y sera bien contrainte à force de perdre les élections (le problème pour la gauche, c'est qu'ayant abandonné tout programme de réforme sociale, le droit-de-l'hommisme est devenu consubstantiel à son identité, ce qui rend extrêmement difficile son abandon).  Certes, pour l'instant, il ne s'agit que d'une surenchère verbale, qui ne va d'ailleurs pas bien loin, mais cela ne pourra pas durer éternellement, parce que sinon les Français risquent d'aller voir ailleurs, par exemple du coté d'un parti dont le sigle comprend un "F", un "N" et qui compte moins de trois lettres.

Pour l'heure, nous vivons encore dans une sorte de totalitarisme doux, où l'expression de la parole publique est soigneusement contrôlée, non pas par une administration centrale et par la violence physique ou l'emprisonnement comme dans les dictatures de papa, mais par l'auto-conditionnement idéologique d'un classe médiatico-politique dont les membres, sans même avoir conscience de participer à un tel système, agissent de telle façon que tout déviant est automatiquement condamné à une mort sociale aussitôt qu'il fait connaître publiquement sa déviance. Quand la droite dite respectable, qui constitue une partie de ce système, a cédé à la tentation d'ouvrir une brèche dans ce déni du réel, fût-ce uniquement pour des raisons électoralistes et sans penser un traître mot de ce qu'elle disait (elle n'a d'ailleurs pas dit tant que cela), elle a commis l'erreur classique du totalitarisme qui accepte de lâcher du mou et bientôt se retrouve à poil. Dès lors qu'on tolère que ne serait-ce qu'un peu de la vérité soit dite, on est condamné à la voir bientôt sortir tout entière. Ce que j'ai dit au sujet des politiciens vaut également au sujet des journalistes, qui devront bien traiter les sujets dont les gens parleront de plus en plus ouvertement, au risque de les voir partir chez la concurrence et d'être assaillis de courriers de lecteurs ou d'auditeurs en colère. Bien sûr, ils essaieront d'habiller la vérité de façon acceptable selon leurs critères, mais le peuple a ceci de pratique qu'il ignore les subtilités et ne retient que l'essentiel. Ainsi, je regardais tantôt un reportage sur France 2 au sujet des travaux de Hugues Lagrange (ce qui soit dit en passant aurait été inimaginable il y a encore quelques mois), qui établit une corrélation entre l'origine ethnique et la délinquance. Naturellement, les journalistes en charge du reportage s'étaient efforcés de nuancer cette corrélation, notamment en donnant la parole à l'incontournable Laurent Mucchielli. Mais croyez-vous vraiment que le pékin de base retiendra les explications embrouillées de notre ami sociologue ? Non, tout ce qu'il retiendra, c'est que le sentiment qu'il avait plus ou moins distinctement auparavant, mais qu'il s'efforçait de réprimer plus ou moins consciemment parce que c'était mal de penser ainsi, eh bien cette impression n'était pas qu'une impression finalement, mais que c'était un fait et qu'on l'avait pris pour un con pendant des années.

Quand j'ai dit cela chez Mlle Bouchard pour la première fois, Roman Bernard m'a objecté qu'au contraire l'électoralisme de nos politiciens causerait notre perte, parce qu'ils avaient compris que l'évolution démographique favorisait l'élément extra-européen, de sorte qu'ils avaient intérêt à chercher à s'attirer les faveurs de l'élément en question. Il ajoutait que, par conséquent, à moins que mes prédictions ne s'accomplissent dans les dix années à venir, l'électoralisme des politiciens jouerait au contraire en notre défaveur. Anthony Naar abondait dans le même sens en me demandant ce que je pensais qu'il arriverait le jour où Houria Bouteldja se présenterait aux élections, par quoi il sous-entendait évidemment que mon raisonnement ne serait plus valable à compte du moment où l'élément allogène se serait doté d'une organisation politique dans le cadre des institutions politiques existantes. C'est une objection très intéressante et c'est pourquoi je voudrais également répéter ici la réponse que je lui avais faite là-bas.

Ainsi, j'entends bien ce que Roman Bernard et Anthony Naar disent au sujet des répercussions de l'évolution démographique sur le corps électoral, mais il me semble que leur argument pèche sur un point, à savoir qu'ils supposent que les gens d'origine étrangère votent autant que les Français de souche, ce qui n'est pas le cas. Si l'on prend une carte de la participation électorale et qu'on la superpose à une carte de la concentration des populations d'origine étrangère, il est aisé de constater que la participation varie en sens inverse de la proportion de gens d'origine étrangère. La raison de ce phénomène est évidente, c'est tout simplement que pour voter, il faut pouvoir s'identifier un minimum aux institutions politiques du pays dans lequel on vit, ce qui n'est pas le cas pour une grande partie de la population issue de l'immigration extra-européenne (c'est bien d'ailleurs tout le problème).

Il est cependant exact que beaucoup de politiciens ont fait le même calcul qu'eux, mais il faut également remarquer que tous ceux qui ont dragué l'électorat musulman ont systématiquement perdu. Par exemple, lors de la dernière élection présidentielle, cette opération de drague fut un élément de la stratégie de Ségolène Royal. En un sens, cela a marché, puisque dans les circonscriptions à forte concentration d'immigrés, elle a rassemblé plus de 80% des voix, mais comme les taux de participation dans les circonscriptions en question étaient ridiculement faibles, cela ne lui a pas rapporté grand chose. Sans compter que cela lui a sans doute aliéné une partie de l'électorat des Français de souche, qui ne voit généralement pas d'un très bon oeil les caresses que l'on doit faire aux immigrés dans l'espoir de s'attirer leurs faveurs.

Aussi imbéciles qu'ils puissent être, et Dieu sait qu'ils peuvent l'être, nos politiciens finiront par comprendre que cette stratégie est électoralement suicidaire. C'est pourquoi, selon moi, l'argument de Roman Bernard et d'Anthony Naar ne deviendra valable que lorsque la population d'origine extra-européenne aura acquis une prépondérance écrasante dans la population générale, ce qui fort heureusement prendra plus que dix ans. Tout au plus, cette stratégie consistant à draguer l'électorat musulman n'est-elle valable qu'à l'échelon local, et je crois que cela restera le cas encore (relativement) longtemps. En revanche, pour les raisons que j'ai indiquées plus haut (à savoir qu'une brèche, aussi infime soit-elle, a été ouverte dans le contrôle de la parole), il me semble que la lutte contre l'immigration et l'insécurité (pour ne citer que ces deux problèmes) va devenir électoralement très payante dans les années à venir.

Anthony Naar m'ayant demandé ce que je pensais qu'il arrivera quand Houria Bouteldja se présentera aux élections, je lui ai répondu qu'elle fera 0,2% et que cela fera monter le FN de 5%. D'autre part, puisqu'il m'a également demandé ce qui arriverait le jour où Ali Soumaré se présenterait à l'Assemblée nationale, j'ai répondu que, selon moi, il avait tort de penser que le seul fait de présenter aux élections des gens issus de l'immigration fera grimper le taux de participation au sein de la population d'origine étrangère, dans la mesure où c'est une prédiction qui a jusqu'à présent toujours été démentie par les faits. Par exemple, aux dernières élections régionales, dans le Val d'Oise, où Ali Soumaré était tête de liste, le taux de participation a très nettement baissé par rapport au scrutin de 2004, puisqu'il est passé de 63,64% à 44,48% (cf. ici et ). Maintenant, si l'on s'intéresse à cette évolution dans la commune de Villiers-le-Bel, d'où vient Ali Soumaré (et où l'on pouvait par conséquent s'attendre à voir le taux de participation progresser de la façon la plus spectaculaire), on voit que le taux de participation est passé de 55,73% à 35,67% (cf. ici et ). Autrement dit, non seulement on a également assisté à une chute du taux de participation dans une commune où la population d'origine étrangère est majoritaire, mais elle a même été plus encore importante que dans le reste du département.

Voilà, c'est tout pour aujourd'hui, je vous invite donc à vous réjouir, le vent est peut-être en train de tourner. Si malgré tout vous persistez à faire preuve de pessimisme (ce qui ne m'étonnerait pas, chiants comme vous êtes), essayez au moins de vous rappeler la devise de Charles de Téméraire : "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer". Certes, je sais bien, on ne peut pas dire que ça lui ait franchement réussi à celui-là, mais enfin quoi, vous tenez vraiment à me gâcher ce bel optimisme qui m'a récemment gagné ? Bref, j'aurais quand même essayé... C'est étrange comme j'ai envie de répandre mon humeur guillerette du moment. C'est peut-être le propre des gens optimistes, mais j'avoue que j'ai trop peu d'expérience en la matière pour répondre à cette question. D'ailleurs, ça m'inquiète un peu cette soudaine poussée d'optimisme, dans la mesure où, après tout, le pessimisme est un peu consubstantiel à la réaction. Et puis l'optimisme béat, ça rend con, un peu comme les gens trop heureux ne font jamais de bons artistes. Tout compte fait, je me demande si, en fait d'optimisme, je ne suis pas tout simplement en train de virer au progressisme moi...

Parce qu'il faut bien commencer par dire quelque chose

Ayant récemment débarqué aux États-Unis pour faire ma thèse à l'université de Cornell, il m'est venu l'envie d'écrire de temps en temps ce qui me passe par la tête, ne serait-ce que pour éviter de perdre tout à fait le contact avec la langue française. Parce qu'il faut bien l'avouer, j'ai beau être reconnaissant envers des gens qui me paient pour étudier, ce qui soit dit en passant a quelque chose d'assez scandaleux, j'ai cependant du mal à me départir de cette sorte d'arrogance qu'affichaient les Européens lorsqu'ils se rendaient de l'autre coté de l'Atlantique, à l'époque où il leur restait quelque chose de leur ancienne grandeur, à savoir le fait qu'ils étaient encore conscients d'avoir un jour fait partie d'une grande civilisation. En particulier, j'ai beau essayer de m'ouvrir l'esprit, comme on dit aujourd'hui chez les gens bien comme il faut, il n'y a pas à dire, le français a quand même des charmes qu'on ne trouve pas ailleurs, un petit quelque chose de civilisé qui manque aux autres langues.

Bref, comme je disais récemment ailleurs, je suis un peu comme un Grec devant ses conquérants romains, à ceci près que, contrairement à la Grèce qui, c'est bien connu, avait conquis ses farouches vainqueurs, l'Europe d'aujourd'hui, réduite à n'être plus qu'un conglomérat de boutiquiers et un protectorat américain, serait bien incapable de conquérir qui que ce soit, quand même s'agirait-il seulement de faire la conquête des esprits. Évidemment, nos technocrates nous répètent à l'envi que le monde entier ne rêve que de nous ressembler, nous qui jouissons de ces incomparables bienfaits que sont la démocratie et les droits de l'homme. C'est étrange, il m'avait échappé que les Chinois, pour ne citer qu'eux (disons que c'est le privilège du nombre), nous enviaient notre décadence. Mais c'est sans doute parce que je ne suis qu'un misérable réactionnaire, l'un des derniers représentants de cette race honnie, qui, fort heureusement, est appelée à disparaître très prochainement. D'ailleurs, je puis en attester, elle a de plus en plus de mal à se reproduire, ce qui en effet n'augure rien de bon pour son avenir.

J'ai toujours eu du mal à comprendre comment l'univers tout entier, c'est-à-dire l'Occident en phase terminale de la maladie qui doit l'emporter, pouvait considérer comme allant de soi une affirmation aussi absurde que "nous sommes libres car nous vivons, heureux mortels que nous sommes, sous un régime démocratique". En quoi le fait d'avoir l'insigne privilège de détenir un trente-millionième du pouvoir de choisir lequel des analphabètes qui convoitent nos suffrages nous mènera dans le mur, car c'est bien de cela dont il s'agit quand on parle de la démocratie, nous rend-il en quelque façon que ce soit plus libre qu'un Chinois ? Non, décidément, je ne vois vraiment pas en quoi, puisqu'en effet ils sont tous également compétents pour mener cette tâche à bien, c'est même d'ailleurs probablement l'unique compétence qu'on peut leur reconnaître, avec le sens aigu qu'ils ont de leur intérêt et cette absence de scrupules qui ne laissera jamais de m'étonner. Et pourtant il s'agit là d'une vérité si unanimement reconnue, qu'il n'est même pas besoin de la discuter. À moins bien sûr que ce ne soit précisément parce qu'on ne la discute pas que l'accord au sujet de sa vérité soit si parfait, mais vous allez encore dire que je ne suis qu'un grincheux qui ne sait pas profiter de la chance qu'il a de vivre à notre époque formidable. Il n'empêche, j'ai quand même la très nette impression d'avoir été quelque peu floué par celui qui m'a fait naître dans ce siècle, à moins que tout cela ne soit que le résultat d'une regrettable erreur d'administration. C'est à se demander s'ils ne recyclent pas nos fonctionnaires là-haut, ceci expliquerait alors cela. Vous parlez d'une époque, même le paradis n'est plus fréquentable.