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vendredi 8 avril 2011

Le fléau de la discrimination à l'embauche

On entend régulièrement à la radio et à la télévision que, si les jeunes gens d'origine extra-européenne tombent plus souvent dans la délinquance que les autres, c'est parce qu'ils sont victimes de discrimination à l'embauche. Il s'agit comme toujours de nous expliquer que, si nous rencontrons des problèmes avec les populations issues de l'immigration, ce n'est pas de leur faute mais évidemment de la nôtre, salauds de racistes que nous sommes. Or, le Centre de Recherche en Économie et Statistiques vient de publier une étude très intéressante, sur laquelle nos amis journalistes ne se sont pas attardés plus que cela, qui tend à réfuter cette explication. En effet, ayant étudié le comportement à l'embauche des entreprises qui ont participé à l'expérimentation par le Pôle Emploi du CV anonyme dans 8 départements, cette étude a conclu que, non seulement le CV anonyme ne favorisait pas les candidats issus de l'immigration ou habitant les quartiers dits sensibles, mais qu'en réalité la suppression du bloc "état civil" leur était extrêmement défavorable.

Ainsi, alors qu'avec un CV traditionnel, les candidats correspondant à cette description ont 1 chance sur 10 d'obtenir un entretien (contre 1 chance sur 8 pour les autres candidats), ils n'ont plus que 1 chance sur 22 avec le CV anonyme (contre 1 chance sur 6 pour les autres candidats). En d'autres termes, avec le CV anonyme, les candidats issus de l'immigration ou habitant les quartiers dits sensibles ont à peu près 55% de chance en moins d'obtenir un entretien qu'avec le CV traditionnel, tandis que les autres candidats ont environ 33% de chance en plus d'obtenir un entretien avec le CV anonyme qu'avec le CV traditionnel. L'étude du CREST écarte plusieurs hypothèses qui pourraient expliquer ce résultat :
Il ne s'agit pas d'un artefact lié à l'expérimentation, qui aurait stimulé les entreprises recevant des CV nominatifs à modifier leur comportement ("effet placebo"). Il ne s'agit pas non plus, ou pas seulement, d'un problème de représentativité des entreprises qui ont accepté de participer à l'expérimentation. Les recruteurs de l'expérimentation ne viennent pas seulement d'entreprises déjà exemplaires en matière de discrimination et pour lesquelles le CV anonyme serait superflu, voire viendrait perturber une politique de recherche de diversité dans les recrutements.
D'autre part, les auteurs rejettent également l'hypothèse selon laquelle le CV anonyme entraînerait un surcoût pour les entreprises, comme celle selon laquelle il les conduirait à privilégier d'autres voies de recrutement. Mais alors, si ce résultat ne peut pas être expliqué de cette façon, qu'est-ce qui peut donc l'expliquer ?

Il ne reste évidemment qu'une explication, à savoir que non seulement les personnes issues de l'immigration ne sont pas victimes de discrimination à l'embauche, mais qu'elles sont au contraire favorisées en raison de leur origine. Les auteurs du rapports sont d'ailleurs obligés de l'admettre :
Reste l'hypothèse subtile mais plausible d'une interaction entre signaux envoyés par le corps du CV et signaux envoyés par le bloc état-civil : il se peut que l'anonymisation du CV, en ôtant de l'information sur les candidats, ait empêché les employeurs de réinterpréter à l'avantage des candidats potentiellement discriminés les autres signaux du CV.
Qu'en termes fleuris ces choses là sont dites, n'est-ce pas... Sans doute pour soulager leur conscience, les auteurs du rapports tentent de nous offrir un exemple acceptable de "réinterprétation à l'avantage des candidats potentiellement discriminés des autres signaux du CV" :
Par exemple, les "trous" dans le CV pourraient être expliqués par un accès plus difficile à l'emploi lorsque le CV montre que le candidat réside en ZUS, mais pas lorsque cette information est masquée.
Malheureusement pour eux, le problème avec cet exemple,  c'est qu'il suppose que, si les candidats en question ont un déficit d'expérience professionnelle par rapport aux autres, c'est parce qu'ils ont subi des discriminations à l'embauche, mais c'est précisément ce que leur étude tend à réfuter... Il serait très facile d'écarter définitivement cette hypothèse en se concentrant uniquement sur les premières recherches d'emploi, mais apparemment les auteurs de l'étude ont préféré en rester là...

Cette étude est particulièrement intéressante car, au delà du fait qu'elle réfute l'une des rengaines favorites du landerneau politico-médiatique, elle tend à montrer que les Français ont été tellement saoulés d'idéologie anti-raciste que, loin de discriminer les personnes issues de l'immigration, ils se croient obligés de préférer des Noirs et des Arabes à des Français de souche plus compétents, comme pour se convaincre eux-mêmes qu'ils ne sont pas racistes. En définitive, s'il y a du racisme à l'embauche en France, tout indique que ce sont les Français de souche qui en sont les victimes, et non pas les personnes issues de l'immigration. Comme quoi, quand on veut défendre l'orthodoxie politico-médiatique, ce n'est généralement pas une bonne idée de se pencher sur les faits, qui ont la fâcheuse habitude de se montrer plutôt récalcitrants aux délires idéologiques du moment. D'ailleurs, je ne me fais aucun souci, on aura tôt fait d'enterrer cette étude. Ce serait tout de même con que, pour une histoire de statistiques, nos amis journalistes et politiciens ne puissent plus entonner le chœur des pleureuses au sujet des jeunes issus de l'immigration en révolte contre l'insupportable racisme des Français. D'ores et déjà,  les quelques journaux qui s'en sont fait l'écho, sans doute à contrecœur, ont pris bien soin de ne pas chercher à l'interpréter. À leur décharge, il faut dire que la plupart des journalistes n'ont sans doute pas les capacités intellectuelles pour cela, mais enfin tout de même...

P.S.: Je sais que j'étais censé répondre à Aristide et Roman Bernard, mais je n'ai pas eu le temps et maintenant il est un peu tard.  J'aurai l'occasion de revenir sur ce dont il était question au cours de ma discussion avec eux quand j'écrirai le billet que j'ai en projet depuis un moment sur 2012.

P.S. bis : Le magazine Capital, qui reprend cette information, conclut et titre "le CV anonyme favorise les discriminations". Il faut donc en conclure que, si un Noir ou un Arabe n'est pas recruté parce qu'il est incompétent, le recruteur se rend coupable de discrimination. Évidemment, vu comme cela, il est tout de suite plus facile de se convaincre que la France est un pays raciste...

9 commentaires:

  1. En tant que prof de SES dans un lycée, je vais me faire un plaisir de l'utiliser, cette étude, et de la commenter.

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  2. Je m'en réjouis à l'avance, j'espère simplement que vous êtes préparé aux réactions de vos collègues, qui ne sont peut-être pas aussi attachés à la vérité que vous... Quand j'étais au lycée, le cours de SES s'apparentait à de l'endoctrinement pur et simple, comme hélas une bonne partie du reste de l'enseignement.

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  3. Intéressante étude. Ses résultats ne me surprennent pas du tout. Dans le billet que j'ai consacré au fameux "salary-gap" entre les hommes et les femmes, il y a un élément que je n'ai pas mentionné, pour ne pas rallonger encore la sauce : en réalité il semble bien que, dans un certain nombre de cas, les femmes soient davantage payées que les hommes pour un même travail. Beaucoup d'employeurs donnent spontanément un coup de pouce aux candidatures féminines et accordent un peu plus facilement des promotions, oui, même sans canapé.
    Pas besoin de discrimination positive légale, elle existe déjà dans les faits.

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  4. Je viens de lire votre billet qui est excellent, j'ignorais tout de l'étude que vous citez. Au sujet de votre conclusion à mon billet, je suis aussi tout à fait d'accord : la discrimination positive existe déjà de facto, à défaut d'exister de jure.

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  5. Une petite fuite supplémentaire dans la presse. On attend les gros titre du Monde.

    http://www.causeur.fr/les-surprises-de-la-discrimination-a-l%e2%80%99embauche,9457

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  6. En fait, Le Monde a déjà publié un article discret sur la question, qui se garde bien cependant d'interpréter les résultats de cette étude. Pour ce qui est des gros titres, je crains qu'on puisse toujours attendre...

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  7. Voici la chronique matinale de Zemmour sur la question:

    http://youtu.be/1MzRt4NtrpE

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  8. La nouvelle se diffuse petit à petit, c'est bien.

    http://blog.lefigaro.fr/education/2011/04/discrimination-dites-vous.html


    Juste un bémol : sa remarque sur la "discrimination" dont seraient victimes les femmes : "l’étude démontre que face à un recruteur masculin, une femme n'a qu’une chance sur 27 d'être reçue en entretien, contre une sur cinq pour un homme. Quand le CV est anonyme, ô miracle, les femmes ont 4,5 fois plus d'occasions de passer le cap du tri des CV…"
    Mais n'importe quel employeur sait bien que sur un grand nombre de poste les femmes sont moins productives que les hommes parce qu'elles sont plus tournées vers la famille : elles sont plus réticentes à rester tard le soir, à venir le week-end, elles prennent plus facilement des congés lorsque leurs enfants sont malades etc.
    Aucune discrimination là dedans, juste une prise en compte de la réalité économique.
    Mais bon, il ne faut pas trop en demander d'un seul coup je suppose. Les doses de bon sens doivent être injectés avec modération pour ne pas tuer le patient.

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  9. J'avais déjà lu cette étude (bien que pas complètement en entier) sur un autre blog, il y a plus d'un mois. Pour celui qui a fait un peu d'économie, le résultat de l'étude ne le surprendra pas : l'information est toujours un coût. Quand on ne sait pas à qui on a affaire, on peut difficilement s'adapter. Ôter l'information, c'est augmenter le coût de l'information.
    Sinon, un détail dont personne ne parle (ou du moins, je n'ai jamais entendu), c'est le prénom que porte l'immigré (asiatique, noir, arabe etc.).
    J'ai le sentiment comme ça... que porter un prénom français donne plus de chances à l'immigré d'intégrer le marché du travail que son homologue portant un prénom non-français. Quelque part, ça peut donner l'impression qu'il est plus intégré, plus français, et donc quelque part, plus "impliqué" si je puis dire.
    J'ignore s'il existe des études de ce genre.
    Mais d'après mon expérience, je crois que les arabes et japonais ont pour la plupart des prénoms non-français. Les chinois ont toujours des prénoms français, les noirs, je ne sais pas trop. Ceux que j'ai pu côtoyer (càd pas beaucoup) ont des prénoms le plus souvent français.

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