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lundi 27 septembre 2010

Parce qu'il faut bien commencer par dire quelque chose

Ayant récemment débarqué aux États-Unis pour faire ma thèse à l'université de Cornell, il m'est venu l'envie d'écrire de temps en temps ce qui me passe par la tête, ne serait-ce que pour éviter de perdre tout à fait le contact avec la langue française. Parce qu'il faut bien l'avouer, j'ai beau être reconnaissant envers des gens qui me paient pour étudier, ce qui soit dit en passant a quelque chose d'assez scandaleux, j'ai cependant du mal à me départir de cette sorte d'arrogance qu'affichaient les Européens lorsqu'ils se rendaient de l'autre coté de l'Atlantique, à l'époque où il leur restait quelque chose de leur ancienne grandeur, à savoir le fait qu'ils étaient encore conscients d'avoir un jour fait partie d'une grande civilisation. En particulier, j'ai beau essayer de m'ouvrir l'esprit, comme on dit aujourd'hui chez les gens bien comme il faut, il n'y a pas à dire, le français a quand même des charmes qu'on ne trouve pas ailleurs, un petit quelque chose de civilisé qui manque aux autres langues.

Bref, comme je disais récemment ailleurs, je suis un peu comme un Grec devant ses conquérants romains, à ceci près que, contrairement à la Grèce qui, c'est bien connu, avait conquis ses farouches vainqueurs, l'Europe d'aujourd'hui, réduite à n'être plus qu'un conglomérat de boutiquiers et un protectorat américain, serait bien incapable de conquérir qui que ce soit, quand même s'agirait-il seulement de faire la conquête des esprits. Évidemment, nos technocrates nous répètent à l'envi que le monde entier ne rêve que de nous ressembler, nous qui jouissons de ces incomparables bienfaits que sont la démocratie et les droits de l'homme. C'est étrange, il m'avait échappé que les Chinois, pour ne citer qu'eux (disons que c'est le privilège du nombre), nous enviaient notre décadence. Mais c'est sans doute parce que je ne suis qu'un misérable réactionnaire, l'un des derniers représentants de cette race honnie, qui, fort heureusement, est appelée à disparaître très prochainement. D'ailleurs, je puis en attester, elle a de plus en plus de mal à se reproduire, ce qui en effet n'augure rien de bon pour son avenir.

J'ai toujours eu du mal à comprendre comment l'univers tout entier, c'est-à-dire l'Occident en phase terminale de la maladie qui doit l'emporter, pouvait considérer comme allant de soi une affirmation aussi absurde que "nous sommes libres car nous vivons, heureux mortels que nous sommes, sous un régime démocratique". En quoi le fait d'avoir l'insigne privilège de détenir un trente-millionième du pouvoir de choisir lequel des analphabètes qui convoitent nos suffrages nous mènera dans le mur, car c'est bien de cela dont il s'agit quand on parle de la démocratie, nous rend-il en quelque façon que ce soit plus libre qu'un Chinois ? Non, décidément, je ne vois vraiment pas en quoi, puisqu'en effet ils sont tous également compétents pour mener cette tâche à bien, c'est même d'ailleurs probablement l'unique compétence qu'on peut leur reconnaître, avec le sens aigu qu'ils ont de leur intérêt et cette absence de scrupules qui ne laissera jamais de m'étonner. Et pourtant il s'agit là d'une vérité si unanimement reconnue, qu'il n'est même pas besoin de la discuter. À moins bien sûr que ce ne soit précisément parce qu'on ne la discute pas que l'accord au sujet de sa vérité soit si parfait, mais vous allez encore dire que je ne suis qu'un grincheux qui ne sait pas profiter de la chance qu'il a de vivre à notre époque formidable. Il n'empêche, j'ai quand même la très nette impression d'avoir été quelque peu floué par celui qui m'a fait naître dans ce siècle, à moins que tout cela ne soit que le résultat d'une regrettable erreur d'administration. C'est à se demander s'ils ne recyclent pas nos fonctionnaires là-haut, ceci expliquerait alors cela. Vous parlez d'une époque, même le paradis n'est plus fréquentable.

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